La synesthésie et l’art de Kandinsky: quand les sons deviennent couleurs

Introduction

Peut-on voir la musique ou entendre les couleurs ?
Pour la plupart d’entre nous, ces expériences relèvent de la métaphore poétique. Mais pour certains artistes, elles étaient littéralement réelles. C’est le cas de Vassily Kandinsky (1866–1944), le pionnier de l’art abstrait, dont la peinture fut profondément marquée par un phénomène fascinant : la synesthésie.

Qu’est-ce que la synesthésie ?

La synesthésie est un phénomène neurologique rare dans lequel la stimulation d’un sens déclenche automatiquement une perception dans un autre.
Un synesthète peut, par exemple :

  • voir des couleurs associées à des sons ou à des notes de musique,

  • percevoir des formes en écoutant des mots,

  • ou encore attribuer des textures ou des goûts à certaines lettres ou chiffres.

Loin d’être une hallucination, la synesthésie est une connexion inhabituelle entre les aires sensorielles du cerveau. Elle varie d’un individu à l’autre, mais chez les artistes, elle peut devenir une source d’inspiration inépuisable.

Kandinsky, le peintre qui entendait les couleurs

Kandinsky aurait vécu sa première expérience synesthésique à l’âge de 30 ans, lors d’un concert de Wagner. Les cuivres et les violons lui apparurent alors comme des formes et des couleurs dansantes.
Cette révélation bouleversa sa conception de l’art : il ne peindrait plus pour représenter le monde visible, mais pour traduire les émotions et les sons en formes et en couleurs.

« La couleur est le clavier, les yeux sont les marteaux, l’âme est le piano à cordes. »
Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art (1911)

Pour Kandinsky, chaque couleur possédait une valeur sonore et émotionnelle :

  • le bleu évoquait la profondeur et la spiritualité,

  • le jaune, la vitalité et la tension,

  • le rouge, la force et la passion,

  • le vert, l’équilibre et la tranquillité.

Il parlait d’accords chromatiques, de mélodies picturales et de rythmes visuels, comme un compositeur traduirait ses émotions en musique.

De la musique à la peinture : vers l’abstraction

Cette approche sensorielle mena Kandinsky à inventer une nouvelle forme d’expression : la peinture abstraite.
Dans ses œuvres, la nature disparaît au profit de lignes, de taches, de formes et de couleurs qui interagissent comme les notes d’une partition.

Ses toiles — telles que Composition VII (1913) ou Jaune, rouge, bleu (1925) — ne décrivent rien, mais expriment.
Elles vibrent comme une symphonie visuelle, où le spectateur est invité à ressentir plutôt qu’à reconnaître.

L’héritage d’un langage universel

Kandinsky croyait en un art capable de toucher l’âme directement, sans passer par le filtre du langage ou de la raison.
Son ambition était de créer un langage universel, basé sur les émotions fondamentales que chaque être humain peut ressentir devant une couleur, un son ou un mouvement.

Aujourd’hui encore, son œuvre résonne dans les arts visuels, la musique, la danse, le design ou même les technologies immersives, où la fusion des sens est devenue un terrain d’exploration majeur.

En guise de conclusion

La synesthésie fut pour Kandinsky une porte d’entrée vers l’abstraction, une manière de libérer la peinture du réel pour en faire un équivalent visuel de la musique. En écoutant ses toiles comme on écouterait une symphonie, on découvre que l’art peut être bien plus qu’une image : une expérience sensorielle totale, une vibration entre le son, la couleur et l’âme.

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